[Entretien] Cyril Dion : “Penser à demain”

Publié le 09/01/2017 à 16H01
Le succès planétaire du documentaire Demain, qu’il a réalisé avec l’actrice Mélanie Laurent, ne lui a pas donné la grosse tête. Engagé depuis des années en faveur d’un développement plus respectueux de l’homme et de l’environnement, proche de Pierre Rabhi, Cyril Dion poursuit son infatigable quête de solutions pour un monde durable… Et ne se lasse pas d’en témoigner.
Comment, après des études d’art dramatique, vous êtes-vous retrouvé à travailler pour la fondation Hommes de parole, en faveur du dialogue interreligieux ?
Les hasards de la vie… Et surtout ma rencontre au début des années 2000 avec Alain Michel, fondateur d’ÉquiLibre, une ONG humanitaire lyonnaise, à un moment où il se questionnait sur le sens de l’aide humanitaire. Il pensait que c’était en amont des conflits, dans le dialogue interculturel et interreligieux, que l’on pourrait trouver des solutions. C’est ainsi que je me suis retrouvé coordonnateur des Congrès mondiaux des imams et rabbins pour la paix, l’un à Bruxelles, l’autre à Séville. Nous avons fait venir 400 leaders juifs et musulmans de 34 pays différents, en les faisant vivre ensemble pendant trois à quatre jours… c’était rock ’n’ roll !
CyrilDion Credit Emmmanuelle MarchadourEst-ce cette expérience qui a marqué le début de votre engagement ?
 Pas complètement. Juste avant de faire ça, je me suis formé à la médecine naturelle, en réflexologie plantaire et en micro-ostéopathie. C’est le premier moment où j’ai pris conscience que je pouvais faire quelque chose pour être utile, aider les autres et pas seulement m’exprimer ou m’épanouir. C’est ce qui m’a également permis de comprendre l’importance des écosystèmes, c’est-à-dire le fait que chaque système, quel qu’il soit, écologique, physique, économique, politique, etc., est composé d’une infinité d’éléments reliés entre eux. Et qu’il est vain de vouloir traiter seulement le symptôme, mais qu’il est nécessaire de comprendre le système dans son ensemble. C’est exactement ce qu’on a tâché de reproduire dans Demain, avec une construction en cinq grandes thématiques [l’agriculture, l’énergie, l’éducation, l’économie et la démocratie], en montrant que tout est lié. Il n’y a pas de solutions indépendantes les unes des autres.
Vous rencontrez Pierre Rabhi et, en 2007, vous créez ensemble les Colibris. En quoi consiste ce mouvement ?
 Au départ, cela s’appelait Mouvement pour la terre et l’humanisme. Au fur et à mesure de l’avancée du projet, nous l’avons rebaptisé Colibris, en référence à une légende amérindienne qui raconte l’histoire d’animaux pris au milieu d’une clairière en feu. Alors que tous cherchent à fuir, seul le colibri apporte, goutte à goutte, de quoi éteindre l’incendie. Tous cherchent à l’en dissuader et lui assènent qu’il n’y arrivera pas. «Peut-être, répond le colibri, mais je fais ma part…» Donc, l’idée du mouvement, c’était de créer un espace où toutes les personnes désireuses d’apporter leur pierre à la construction d’une société plus respectueuse des humains et de la nature puissent se rencontrer et que ce mouvement soit une force capable de transformer les choses. Les Colibris travaillent essentiellement sur trois axes : d’abord, inspirer ceux qui ont envie d’agir, en relayant les solutions déjà mises en pratique. On s’appuie pour cela, entre autres, sur la collection « Domaine du possible », éditée chez Actes Sud. Nous voulons aussi relier les gens, faire en sorte qu’entrepreneurs et citoyens, sur des territoires, puissent se rassembler afin de mettre en œuvre leurs solutions. Enfin, soutenir, c’est-à-dire faciliter la mise en action, grâce au financement participatif, par exemple, en apportant des outils afin de mener les projets. Aujourd’hui, le mouvement des Colibris compte près de 300 000 personnes.
annoncer les mauvaises nouvelles ne suffit pas à réveiller les consciences

En 2012, vous décidez de tourner Demain, suite à la lecture d’une étude scientifique annonçant la disparition possible d’une partie de l’humanité d’ici à 2100…
En effet. Mais pas sur le mode catastrophiste. Car dénoncer ou annoncer les mauvaises nouvelles ne suffit pas à réveiller les consciences. Au contraire, cela active dans notre cerveau des mécanismes de déni, de fuite. Pour déclencher l’adhésion, la mobilisation, il faut montrer
un horizon désirable. Cela a été le sens de notre projet. Nous avons essayé de raconter une histoire qui fasse se dire aux gens : «c’est dans un monde comme cela que j’ai envie de vivre». Nous sommes donc partis, avec Mélanie Laurent et une petite équipe, découvrir à quoi notre monde pourrait ressembler si nous mettions bout à bout certaines des solutions que nous connaissons déjà, dans les cinq domaines dont nous avons parlé. Les scientifiques disent qu’on a vingt ans pour réagir. Cela va nécessiter beaucoup d’énergie, d’enthousiasme. Nous voulions créer le déclic, pour que les gens aient envie de s’engager.

Demain, récompensé par un César en 2016, a été vu par plus d’un million de personnes en France et à travers le monde. Quel en a été l’impact concret ?
 L’engouement et l’énergie suscités par ce film ont été extraordinaires. Nous avons eu écho de tant de projets de gens qui, après avoir vu le film, avaient lancé des initiatives, pour réduire les consommations d’énergie, construire des jardins partagés ou mettre en place des monnaies locales, que nous avons décidé d’ouvrir une extension au site internet appelée Après Demain, qui recense toutes ces actions. Nous en sommes à plus de 700 projets ! Le film a permis de donner de l’élan à des personnes en réflexion sur ces sujets ou déjà porteuses de projets. Il est sans doute arrivé au bon moment.

Et auprès des politiques ? Car, là aussi, vous avez eu une audience assez incroyable…
 Oui, le film a été projeté à l’ONU, au Parlement européen, à la Cop 21, vu par des ministres et élus de tous bords… Nous avons en revanche échoué auprès de l’Éducation nationale à faire reconnaître ce film comme pouvant faire partie des outils de sensibilisation possibles dans les écoles. Malgré une pétition qui a recueilli plus de 120 000 signatures. On nous a opposé que ce que nous abordions dans le film était le fruit d’opinions personnelles et qu’il n’était pas en lien avec les programmes… Et plus grave : que le chapitre sur la monnaie venait en contradiction avec le programme ! Finalement, de nombreux profs ont pris d’eux-mêmes l’initiative et, d’après notre distributeur, plus de 100 000 élèves ont déjà vu le film. En Belgique, la ministre bruxelloise de l’Environnement a fait parvenir le DVD de Demain à toutes les écoles secondaires de la capitale. J’ai aussi été invité par des multinationales et de grandes banques dont les dirigeants et aussi les salariés cherchent à savoir comment participer à changer les choses.
Nous sommes arrivés à un moment si critique de notre humanité qu’il ne s’agit plus de perdre du temps avec des visions politiciennes

Pourquoi ça ne bouge pas plus vite en France, alors que certaines des solutions sont à portée de main ?
     

PARCOURS
1987 Naissance à Poissy (Yvelines)
2005 Coordonne le premier Congrès mondial des imams et rabbins pour la paix, à Bruxelles.
2007 Crée le mouvement Colibris, avec Pierre Rabhi.
2010 Coproduit avec Colibris Solutions locales pour un désordre global, de Coline Serreau.
2013 Crée la collection « Domaine du possible » chez Actes Sud.
2015 Sortie du film documentaire Demain, réalisé avec Mélanie Laurent.
     
             
Nous avons du mal à sortir d’une vision très idéologique sur un certain nombre de sujets. Prenons le livre de Céline Alvarez Les Lois naturelles de l’enfant, qui a fait grand bruit récemment. L’auteure s’appuie sur les neurosciences afin d’expliquer qu’un enfant n’apprend que s’il est intéressé, s’il comprend le sens de ce qu’il va faire et si on arrive à différencier les enseignements en fonction de sa forme d’intelligence (il en existe une dizaine). Quand va-t-on intégrer ce que les neurosciences nous enseignent afin de le mettre en application ? Cela supposerait une refonte de notre système. C’est ce qu’ont fait les Finlandais : dans les années 70, leur modèle ressemblait largement au nôtre. Puis ils ont engagé une réforme de fond, qui a pris presque vingt ans, et qui a pu se faire parce que les gouvernements successifs ont accepté de la mettre en œuvre dans la durée, sans que cela soit un enjeu partisan. Chez nous, si un gouvernement de droite lance une réforme, un gouvernement de gauche va la détricoter. Et inversement. Sur des sujets aussi importants, nous avons besoin d’une vision de long terme et d’une politique qui transcende les clivages partisans. Comme en Allemagne pour la transition énergétique ou dans les pays scandinaves. Cela rejoint un point que nous abordons dans le film, pour dire qu’il faut revoir notre fonctionnement démocratique. C’est dans ce sens que nous organisons une grande campagne avec Colibris en vue de la présidentielle, avec l’objectif de mobiliser le plus largement possible. Nous sommes arrivés à un moment si critique de notre humanité qu’il ne s’agit plus de perdre du temps avec des visions politiciennes. Il faut s’unir pour porter un nouveau projet de société sur nos territoires et politiquement.

Vous allez donc vous impliquer dans la campagne présidentielle ?
 Avec Colibris et quelques ONG oui. Cela me semble incontournable. Nous sommes face à une situation dramatique à de nombreux égards : le dernier rapport du WWF explique que 50 % des vertébrés ont disparu ces quarante dernières années ; actuellement, les températures en Arctique sont de 20 °C au-dessus des normales ; l’accélération du réchauffement dépasse les prévisions faites par les scientifiques ; parallèlement à cela, la crise des migrants risque de s’accentuer pour des raisons économiques, géopolitiques et climatiques, etc. Et tous ces sujets-là, si vous avez écouté les débats par exemple de la primaire à droite, vous n’en avez pas entendu parler. Or il est temps de regarder les choses en face et d’agir.
Pour nos pays, c’est encore relativement indolore, donc on continue d’ignorer. La disparition des espèces, quand on vit en ville, personne ne s’en aperçoit. Les conséquences sont encore assez conceptuelles dans la tête des gens, sans voir que c’est une chaîne. Notre planète est un écosystème. Si un bout de la chaîne disparaît, c’est l’ensemble qui est impacté. Alors oui, je pense qu’il est urgent de s’engager. Je pense qu’un autre monde est possible et qu’on peut y prendre part. 
© Photos Emmanuelle Marchadour

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